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Le Conseil d’orientation de l’Agence de la biomédecine publie un avis attendu par la communauté scientifique internationale cadrant les recherches sur les modèles embryonnaires (embryoïdes)

Publié le 11/10/23
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Le Conseil d’orientation de l’Agence de la biomédecine vient d’adopter un avis cadre concernant la recherche utilisant des embryoïdes[1][2], qui sont des modèles d’étude in vitro du développement embryonnaires conçus exclusivement à partir de cellules souches. Le Conseil d’orientation considère que les embryoïdes permettent des avancées scientifiques et médicales justifiant leur usage dans le cadre de la recherche fondamentale et appliquée. Il souligne cependant les risques de dérive, et recommande de définir un encadrement spécifique afin de prévenir tout risque de comportement non éthique. Ces modèles ont initialement été développées chez la souris en 2018 puis chez l’Homme en 2021, et soulèvent depuis de nombreuses questions éthiques qui font débat au sein de la communauté scientifique internationale.

 

La France est le seul pays à avoir adopté une disposition dans sa loi relative à ce type de modèle. La loi de bioéthique de 2021 prévoit en effet que les recherches ayant pour finalité « l’obtention de modèles de développement embryonnaire in vitro » soient soumises à une déclaration auprès de l’Agence de la biomédecine, qui sollicite obligatoirement l’avis du Conseil d’orientation (articles L2151-6 et L2151-7 du code de la santé publique).

 

Dans ce contexte, le Conseil d’orientation a souhaité définir un avis cadre reprenant l’ensemble des questions éthiques et scientifiques soulevées par ces modèles, et tentant d’apporter des éléments de réponses en l’état actuel des connaissances. Il s’agit du premier document de ce type produit par une instance éthique au niveau national et international.

 

1. Les principaux points de cet avis

  • Les embryoïdes ne sont pas des embryons

Le Conseil d’orientation considère que les modèles embryonnaires ou embryoïdes humains ne peuvent pas, par essence, être équivalents à des embryons à ce jour, pour deux raisons:

  • L’origine de la genèse de ces structures : à partir de cellules souches (CSEh ou iPS), et non pas une conception naturelle : fécondation consistant en la réunion de deux génomes haploïdes portés chacun par les gamètes parentaux.
  • L’intentionnalité : projet parental initial dans le cadre des embryons donnés à la recherche, ce qui n’est pas le cas pour les embryoïdes.

Il existe actuellement un consensus international pour interdire le transfert d’embryoïdes humains dans un utérus humain ou animal.

 

  • Intérêt pour la recherche

Le Conseil d’orientation estime que les embryoïdes sont des modèles d’étude particulièrement précieux qui permettent d’envisager de nombreuses applications biomédicales : meilleure efficience des techniques d’assistance médicale à la procréation ; essais pharmacologiques et toxicologiques ; meilleure compréhension des anomalies du développement et des avortements précoces, avec possibilité de développement d’un traitement préventif; mise au point de thérapies cellulaires. De plus, les embryoïdes représentent sur le plan éthique une alternative intéressante, car en tant que modèles, ils évitent aux chercheurs d’avoir à expérimenter sur des embryons humains.

 

L’avis du Conseil d’orientation propose d’autoriser les recherches sur des embryoïdes jusqu’à un stade de développement équivalant au 28ème jour du développement de l’embryon naturel, avec arrêt complet de toute expérimentation au-delà de ce stade. Cela ne remettrait pas en cause la loi actuelle qui fixe à 14 jours la limite la durée de culture des embryons humains. Cultiver ces modèles embryonnaires au-delà de 28 jours ne serait pas non plus justifié, car dans l’état actuel de la science, il est considéré que ces modèles dérivent par rapport au développement physiologique et perdent leur pertinence et leur utilité scientifique et médicale. En revanche, l’étude de ces embryoïdes permettrait d’explorer la période du développement embryonnaire appelé la « boite noire », qui va actuellement du 14ème jour jusqu’au début du deuxième mois de développement de l’embryon. Durant cette période a notamment lieu l’étape de gastrulation, durant laquelle la majorité des maladies congénitales apparaissent, qui n’est pas accessible à la recherche en l’état actuel de la réglementation.

 

Néanmoins, ces considérations n’excluent pas la nécessité d’une vigilance accrue pour les protocoles proposant des expérimentations sur des embryoïdes ayant plus de 14 jours de développement, leurs auteurs devant fournir une justification argumentée pour cette prolongation.

 

  • Prévenir les risques de dérives

Afin de permettre des avancées scientifiques, tout en donnant un cadre éthique, le Conseil d’orientation propose au législateur de considérer la recherche sur ces modèles embryonnaires selon une troisième voie spécifique, entre celle concernant les CSEh et les cellules iPS, qui serait trop permissive, et celle concernant les embryons, qui serait trop contraignante.

Le Conseil d’orientation considère que les risques de dérives liées à des exploitations commerciales des embryoïdes et de leurs éléments dérivés (cellules, tissus ou organes) doivent constituer un point de vigilance. Les embryoïdes humains doivent être utilisés exclusivement pour des objectifs de recherche scientifique avec des critères de pertinence scientifique et une finalité médicale. Leur implantation in vivo doit demeurer proscrite, en conformité avec les recommandations de la société internationale de recherche sur les cellules souches (ISSCR).

Enfin, le Conseil d’orientation estime que la question du consentement à la recherche doit être revisitée, dans le sens d’une actualisation des formulaires d’information et de consentement donnés et remplis par les couples ou les femmes seules désireux de donner leurs embryons à la recherche, ou les personnes acceptant de donner des cellules somatiques avec l’objectif de générer des cellules iPS.

 

 

2. Embryoïdes ?

 

« Embryoïde » est un terme générique. Il s’agit de « modèles de développement embryonnaires », obtenus à partir de cellules souches embryonnaires ou induites, capables de reconstituer in vitro les premières étapes du développement embryonnaires. Ils peuvent être obtenus à partir de deux types de cellules :

  • à partir de cellules souches embryonnaires prélevées dans trophoblaste et/ou dans la masse interne de l’embryon au stade « blastocyste » (j5 à j7 du développement) ;
  • ou à partir de cellules souches pluripotentes induites (iPS). Il s’agit de cellules adultes spécialisées qui sont génétiquement reprogrammées en cellules non différenciées capables de redonner n’importe quelle type de cellules de l’organisme.

 

Ces modèles sont capables de reconstituer in vitro soit une partie de l’embryon, soit l’embryon au complet. Ils représentent une alternative à l’utilisation d’embryons naturels pour la recherche. Dans la presse générale, ils sont parfois présentés à tort comme des « embryons conçus sans gamètes » ou des « embryons synthétique ». En revanche, ils ne sont pas l’équivalent d’un embryon naturel pour deux raisons :

  • les embryoïdes de souris, lorsqu’ils sont transférés chez la femelle pour gestation, s’implantent dans l’utérus mais ils se désorganisent rapidement et sont incapables de se développer à terme et donner naissance à un souriceau ;
  • l’analyse fine des embryoïdes montrent, chez toutes les espèces étudiées à ce jour, la présence anormale de cellules trop développées, ou pas assez développées, au stade étudié.

 

En l’état actuel des connaissances et des développements techniques, ces modèles sont donc incapables de reconstituer l’ensemble du développement embryonnaire et fœtal chez l’animal. Ils ne sont pas à considérer comme des équivalents des embryons : ils ne sont pas issus de gamètes et sont conçus comme des modèles pour la recherche.

 

Il n’y a pas aujourd’hui de consensus sur le statut accordé à ces modèles : sont-ils à considérer comme des amas cellulaires ? Faut-il anticiper l’amélioration des protocoles et des techniques et les considérer d’ores et déjà, sur le plan éthique et réglementaire, comme équivalent à un embryon naturel ? Ou doit-on les considérer comme un intermédiaire entre les deux ?

 

 

3. Une session sur le sujet aux Rencontres de l’Agence de la biomédecine

 

Vendredi 13 octobre, de 10h30 à 12h00 à la Cité Universitaire de Paris, session intitulée « Les derniers développements en matière de recherche sur les cellules souches embryonnaires / IPS ». Au programme de la session :

  • État des lieux des essais cliniques utilisant des cellules dérivées de cellules souches pluripotentes en France et dans le monde. Pr John DE VOS, Unité de Thérapie Cellulaire, Hôpital Saint-Eloi, Montpellier et président de la French Society for Stem Cell Research (FSSCR)
  • Auto-organization de cellules souches en modèles embryonnaires humains – Blastoids, Gastruloids, etc. Nicolas RIVRON, Institute of Molecular Biotechnology, Austrian Acadmy of Sciences, Vienne, Autriche
  • Nouvelles questions éthiques soulevées par la recherche sur les cellules souches pluripotentes. Bernard BAERTSCHI, Université de Genève et Comité d’éthique de l'Inserm.

 

Inscription libre : www.rencontres-biomedecine.fr/session-13

Communiqué des rencontres de l’Agence de la biomédecine : https://presse.agence-biomedecine.fr/rencontres-de-la-biomedecine-2023/

 

 

[1] Terme générique auquel les scientifiques préfèrent celui de « modèles de développement embryonnaire in vitro ».

[2] https://www.agence-biomedecine.fr/IMG/pdf/2023-co-21_annexe_modeles_embryonnaires_vd28092023_.pdf 

A propos de l’Agence de la biomédecine

 

L’Agence de la biomédecine est une agence nationale créée par la loi de bioéthique de 2004. Elle exerce ses missions dans les domaines du prélèvement et de la greffe d’organes, de tissues et de cellules, ainsi que dans les domaines de la procréation, de l’embryologie et de la génétique humaines. L’Agence de la biomédecine met tout en œuvre pour que chaque malade reçoive les soins dont il a besoin, dans le respect des règles de sécurité sanitaire, d’éthique et d’équité. Par son expertise, elle est l’autorité de référence sur les aspects médicaux, scientifiques et éthiques relatifs à ces questions.